Lecture : Le Why café de John P. Strelecy
Je voulais vous proposer un compte rendu de Managers not MBAs de Henry Mintzberg. J’ai commencé ma lecture, et à la trentième page – le bouquin en compte 462! –, j’ai décroché... Comment lire ce livre? C’est pourtant évident : Mintzberg l’explique dans son introduction, très clairement – une explication « pour les nuls ». Mais pourquoi ai-je décroché? Il était là mon os... Pourquoi? Pourquoi lire? Pourquoi Mintzberg? J’avais une réponse logique : je dois lire pour développer mes connaissances et améliorer ma pratique en gestion, et je dois produire des résumés pour faire rayonner cette expertise de façon utile pour nos clients. Comme le livre de Mintzberg a pour sujet les gestionnaires en devenir ainsi que les gestionnaires dans l’exercice de leurs fonctions, il apparaît raisonnable que je veuille en faire le compte rendu... Mais est-ce une bonne raison?
En fait, je ne trouvais pas à ma question de vraie réponse, qui viendrait du cœur. Nous avons tous autre chose à faire que lire! Comme... répondre aux questions suivantes : Comment mettre en œuvre dans l’organisation notre nouveau programme de gestion de la performance? Comment mes employés doivent-ils traiter les demandes des clients? Comment dire à mon employé qu’il ne fait pas son travail comme il faut? Comment réorganiser mon équipe à la suite des compressions de personnel que nous avons subies? Comment réussir à atteindre mes objectifs 2010? Comment mobiliser mes employés? Comment survivre à mes 100 premiers jours comme gestionnaire? Comment témoigner de la reconnaissance? Comment communiquer une exigence? Comment! Comment! Comment! Encore comment! Toujours comment! Et les réponses à ces comment sont d’autres comment! « Faites comme cela, et tout ira bien... Voici comment préparer la meilleure tarte à la fraise et à la rhubarbe!... » Mais moi, je n’aime pas la rhubarbe... Alors, pourquoi une recette, même s’il s’agit de la recette par excellence?
Et cet autre livre était là... Le Why café!... avec en couverture un café... moi qui adore le café! Dans son livre, John P. Strelecky pose trois questions au personnage qui porte son prénom : « Pourquoi êtes-vous ici? Craignez-vous la mort? Êtes-vous pleinement épanoui? » Le reste du livre tourne autour de ces questions toutes simples, mais combien difficiles : À quoi suis-je utile? Quelle est ma raison d’être? Pourquoi suis-je ici? Quelle est ma mission comme gestionnaire? Se poser ces questions constitue en soi un acte de bravoure. Sont plus réconfortantes les questions du genre : « Comment vais-je payer mes comptes du mois? » « Pourrais-je acheter cette télé HD LED 240 MHz 60 pouces? » « Et si on allait dans le Sud cet hiver? J’ai tellement travaillé fort l’an dernier! »
Strelecky nous raconte l’histoire du pêcheur, pas nouvelle, certes, mais riche en enseignements. Dans un petit village de la côte, un touriste étranger félicitait un pêcheur pour la qualité de son poisson et lui demandait combien ça lui avait pris de temps pour le pêcher. « Pas très longtemps », lui répondit le pêcheur. « Mais alors, pourquoi n’avez-vous pas pêché plus longtemps? » lui demanda le touriste.
Le pêcheur lui expliqua que cela suffisait à satisfaire les besoins de sa famille. Le touriste – homme d’affaires prospère – lui demanda alors : « Mais que faites-vous donc le reste de votre temps? »
« Je me lève, je déjeune avec ma famille. Quand les enfants partent pour l’école, je vais pêcher, puis après le dîner, je fais la sieste avec ma femme. Le soir, je joue avec mes enfants, puis lorsqu’ils sont endormis, je vais au village voir mes amis, boire quelques verres, jouer de la guitare et chanter quelques chansons. J’ai une vie bien remplie! »
L’homme d’affaires l’interrompit : « J’ai un M.B.A. Je peux vous aider! Il faudrait que vous commenciez par pêcher un peu plus longtemps chaque jour. Vous pourriez ainsi vendre plus de poissons. Grâce à l’argent gagné en plus, vous pourriez vous acheter un plus gros bateau. »
« Et après ça? » lui demanda le pêcheur.
« Avec les revenus supplémentaires que vous procurerait le plus gros bateau, vous pourriez en acheter un second, puis un troisième et enfin une flotte entière. Au lieu de vendre votre poisson à un intermédiaire, vous pourriez négocier avec les conserveries et peut-être même ouvrir votre propre usine. »
« Combien de temps cela prendrait? » demanda le pêcheur. « Vingt, peut-être vingt-cinq ans », lui répondit l’homme d’affaires, tout content d’avoir donné de si précieux conseils.
« Et après ça? »
« Après? Eh bien, mon ami, c’est là que ça devient vraiment intéressant, lui répondit en riant le touriste. Quand votre affaire deviendra vraiment grosse, vous pourrez la mettre en Bourse, puis vendre vos actions et faire des millions! »
« Des millions? Vraiment? Et ensuite? » demanda le pêcheur.
« Ensuite, vous pourrez prendre votre retraite, et faire ce qui vous plaît le plus! »
« Comme me lever, déjeuner avec ma famille, jouer avec mes enfants, attraper quelques poissons, faire la sieste avec mon épouse et passer mes soirées à m’amuser et à chanter avec mes amis? » interrogea le pêcheur.
L’homme d’affaires, plutôt irrité, lui répondit : « C’est exactement cela! » et il quitta le pêcheur.
Qu’en est-il de nous, gestionnaires? Faisons-nous ce qui nous plaît? Comptons-nous les dodos avant la retraite? Éprouvons-nous du plaisir à conduire notre équipe vers l’atteinte des résultats? Quelle satisfaction avons-nous à accompagner un employé afin qu’il améliore ses interactions avec ses clients ou ses pairs? Que ressentons-nous quand l’équipe accomplit son travail, même en notre absence?
Toujours les mêmes questions! Pourquoi suis-je gestionnaire? À quoi suis-je utile? Quel est mon rôle? Quelle est ma mission?
Souvent l’expertise justifie la promotion des nouveaux gestionnaires. Le meilleur balayeur devient le chef des balayeurs... et continue à passer le balai, mais mieux que ses collègues!
Or le chef a un tout autre rôle à jouer que celui d’expert. Il est là pour soutenir l’équipe dans l’atteinte de ses objectifs, une mission essentielle. La raison d’être du gestionnaire consiste à donner une direction à l’équipe : un sens. Il s’assure qu’elle répond de façon appropriée aux besoins sans cesse changeants de ses clients. Il veille aux opérations, aux méthodes, à l’organisation du travail. Il prend soin de ses ressources humaines en établissant et en maintenant un climat de travail favorable. Finalement, il s’assure que l’équipe s’adapte à son environnement.
Sens
Clients
Opérations et méthodes (organisation du travail)
Ressources humaines
Environnement
Quelles compétences détenez-vous en regard de ces dimensions que reflète l’acronyme SCORE? Bref, quel est votre SCORE?
Le pourquoi : c’est à vous! Le comment : ça se travaille!
Alors, on part à la pêche? Pour ma part, je ne boirai plus mon café de la même façon.
MINTZBERG, Henry, Managers not MBAs, San Francisco, Berrett-Koehler Publishers, 2004, 462 p.
STRELECKY, John P., Le Why café, Loretteville, Les éditions le Dauphin Blanc, 2009, 160 p.