La théorie du 8/8/8
Été 1987, j’en suis à ma deuxième semaine du programme d’entraînement des recrues à Saint-Jean-sur-le Richelieu. Je ne sais plus trop où donner de la tête tellement les journées sont intenses. Mon esprit valse entre l’idée de tout abandonner pour retourner vers une petite vie bien paisible et celle de mordre à pleines dents dans ce défi de taille. Il faut dire que c’est la bannière promotionnelle « Si la vie vous intéresse » qui m’a fait joindre les rangs à l’aube de mes 20 ans.
J’ai l’impression que les journées sont interminables et que la « to do list » est infinie. Ils sont complètement dingues !
Depuis mon arrivée, je coupe dans le gras, c’est-à-dire que je coupe les heures de sommeil, les repas bref, tout ce qui tourne autour d’une bonne hygiène de vie. Sans vraiment m’en rendre compte, je suis devenue pas mal rusée en quelques semaines d’entrainement intensif : bas de laine par-dessus mes bottes de combat pour ne pas faire de marques sur le plancher fraîchement ciré, provisions dans mes poches de pantalons pour passer au travers la journée sans perdre connaissance, seulement quelques heures de sommeil par nuit question d’être efficace, coucher sur le plancher sous mon lit afin de le laisser intact pour l’inspection du matin, achat de tous mes effets personnels en double et ceux-ci bien cachés dans la voiture d’une complice, etc. Que voulez-vous, j’apprends que lorsque vient le temps d’atteindre les objectifs, il ne faut surtout pas lésiner sur la dépense ! Je suis une personne qui écoute et qui observe beaucoup et j’avoue que j’arrive difficilement à comprendre un certain paradoxe depuis mon arrivée au camp d’entraînement.
Autant nous sommes inondés de tâches, d’études et de responsabilités lorsque sur notre propre temps, autant le quotidien en présence de nos leaders est structuré, orienté sur l’efficience, l’efficacité et équilibré. Par exemple, ils nous obligent à manger 3 repas par jour, à faire la sieste lorsqu’un déplacement stratégique doit attendre, à utiliser le temps perdu pour pratiquer nos manœuvres, nettoyer nos armes etc. Bref, le cadre de notre quotidien, nous confronte à faire des choix en lien à chaque énoncé de mission. « Non mais, après tout, je suis une adulte et je n’ai franchement pas besoin de tout cet encadrement ! » je m’entends dire dans ma tête. Lundi matin de la troisième semaine. Nous sommes toutes au garde-à-vous devant nos lits, prêtes pour l’inspection. La Sgt Carrière, que j’ai rebaptisé « Cruella » se présente d’un pied ferme et nous annonce qu’à partir de ce jour, elle aménage les lieux. Quoi ! Elle nous informe que dès maintenant, le couvre-feu et couché seront à 22h et le levé ne sera pas avant 06h. Vous comprendrez que le coucher sera dorénavant dans nos lits respectifs versus sous ces derniers. Elle poursuit en nous disant qu’à 06h nous irons courir, suivra une douche, un déjeuner, les classes, un dîner, un retour en classe, un souper et qu’ensuite, en route vers la « to do list » et les études. Vent de panique dans la baraque, on n’arrivera jamais à tout faire !
Été 2016, au moment d’écrire cet article, je boucle une autre saison de rôle conseil plus convaincue que jamais de l’importance de la fameuse théorie du 8/8/8 et très déterminée à développer un programme aligné sur ce concept. Tout au long de l’année j’ai interagit avec des gestionnaires tiraillés entre leur vie personnelle et professionnelle, fatigués à en avoir de la difficulté à rester éveillé et concentré toute une journée. La majorité affirme se sentir crouler sous la charge de travail et les responsabilités. Sans porter de jugement, je tends l’oreille, j’encourage, je guide et supporte ces centaines de leaders désaxés par le chaos du quotidien… «Been there, done that».
Vous savez ces gestionnaires dont je vous parle, ce sont des professionnels passionnés et dévoués à leur organisation. Ils ont du cœur au ventre et ils veulent se développer car ils ont le succès comme point de mire.
L’entrainement tire à sa fin. Je serai bientôt graduée et en route vers une deuxième tranche d’entrainement pour préparer mon éventuelle mutation. Nous sommes en exercice de simulation de combat et je profite d’un moment de sieste obligée pour revenir à ma réflexion sur le paradoxe. Après mûres réflexions sur les notions de leaderships apprises, je comprends maintenant :
• Qu’une armée sans soldats n’est pas une armée;
• Qu’un cadre n’a pas pour but d’être restrictif mais qu’au contraire, il permet de se recentrer sur l’essentiel et les éléments d’intérêts.
• Qu’un soldat épuisé avant de partir n’aura pas accès à ses ressources et compétences en temps de guerre. Il sera donc, d’aucune utilité pour sa patrie;
• Que dans le slogan « Si la vie vous intéresse » au-delà de la promotion d’une vie palpitante, il y a le fait qu’on ne nous entraîne pas seulement à partir fin prêt mais aussi à revenir vivant;
• Qu’une mauvaise hygiène de vie pour sauver du temps à court terme, ne fait que vous en faire perdre à long terme;
• Qu’il est bien plus facile de tout acheter en double que d’apprendre à challenger ou négocier les demandes; et finalement,
• Qu’une laveuse à linge a une charge maximale et que la surcharge cause un débalancement instantané qu’on ne peut pas ne pas gérer. Et c’est aussi vrai pour les frontales !
LA FAMEUSE RÈGLE DU 8/8/8
Ah oui, la fameuse règle du 8/8/8 ! Et bien elle est fort simple : 8 heures de sommeil, 8 heures de travail et 8 heures pour s’investir dans notre vie personnelle. Dites-vous bien que lorsque vous pigé dans le « 8 » du sommeil pour le transférer dans le « 8 » du travail, il ne s’agit pas là d’un transfert bancaire de votre compte épargne à intérêts élevés à votre compte à épargne stable. Vous venez de faire un transfert à votre compte chèque et ce compte est purement opérationnel. Cela dit, si votre réalité est semblable à la mienne, il y a beaucoup plus de retraits que de dépôts dans ce compte. Dans le tourbillon du quotidien, l’épargne n’est pas chose facile à faire sans la bienveillance d’une « Cruella ».
J’espère que cet article vous permettra des liens et réflexions parallèles. Je souhaite aussi qu’il vous inspire à devenir des leaders d’équilibre qui cadre le chaos. Je vous invite à vous investir autant dans l’équilibre de vos ressources qu’à l’atteinte des résultats corporatifs et ce, si la vie vous intéresse !